Chat En Poche Le Quai De Jemmapes

Et dans Chat en poche cet aveuglement atteint des sommets: c'est le triomphe du dialogue de sourds. Toute la beauté de cette pièce réside dans la perfection de l'absurde, du « nonsense ». Comme la Alice de Lewis Carroll descend dans le grenier, Dufausset passe la porte d'une maison de fous où tout paraît normal. Normal qu'on le prenne pour le ténor célèbre qu'il n'est pas. Normal qu'on lui offre de toucher 3 500 francs* par mois. Normal qu'Amandine voit en lui l'homme qu'elle a un jour croisé dans la colonne Vendôme. Dès qu'on franchit le seuil d'une telle maison on est perdu. Feydeau va faire durer avec obstination le quiproquo initial qui entraînera tous les autres en cascade, un premier mensonge en générant un autre. Comme la boule de neige de Bergson, la situation initiale, loin de se délier, prend inexorablement de l'épaisseur et rapidement, prisonniers de cet engrenage, les personnages perdent le contrôle de la situation, donnant l'étrange impression de creuser eux-mêmes leur tombe.

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Prenant le contre-pied d'un théâtre qui va à cent à l'heure, le directeur du Quai, à Angers, crée un Chat en poche qui s'amuse à prendre son temps. Entre digressions, clins d'œil et embardées à la lisière du surréalisme, Frédéric Bélier-Garcia joue les rondeurs de la chair contre la sécheresse de la mécanique. Du théâtre de Georges Feydeau (1862-1921), on voit souvent jaillir des cavalcades, des effets de glissades et d'accélération, la précision – au millimètre – de réactions en chaîne, de ballets d'entrées et sorties, de quiproquos et d'actes manqués. Tout ceci à outrance. C'est précisément ce que semble avoir voulu éviter Frédéric Bélier-Garcia dans la version atypique de Chat en Poch e que le directeur du Quai met actuellement en scène à Angers. Une version qui prend son temps, qui se tient à distance de cette hystérisation des situations et des personnages, ainsi que de la forme d'assèchement qui peut en résulter. Ce spectacle composé de toutes sortes d'incises et d'ajouts, de clins d'œil burlesques, s'appuie en effet non seulement sur les répliques ciselées de Georges Feydeau, mais également sur la vie des personnages qui les profèrent.

Des personnages qui sont ici des êtres de chair et non de simples figures. Des femmes et des hommes d'aujourd'hui qui, aveuglés par la poussée de leurs illusions et de leurs ambitions, deviennent les proies et les acteurs d'un monde qui se distord jusqu'à l'absurde. Une corporalité qui sied bien à Feydeau L'origine de la méprise qui permet cette escalade vers le surréalisme? Un quiproquo on ne peut plus simple qui fait passer un jeune Bordelais venu effectuer ses études de Droit à Paris pour un grand ténor de l'opéra de Bordeaux. La confusion semble évidemment improbable. Mais elle tient plus de deux heures à force de successions de rebonds et de procédés de déviations. Tout d'abord d'aspect étrangement posé, presque relâché, ce Chat en Poche interprété par Aurélia Arto, Jean-Charles Clichet, Joséphine De Meaux, Sébastien Eveno, Denis Fouquereau, David Migeot, Agnès Pontier et Rodolphe Poulain (comédiens accompagnés par le pianiste Jean-Christophe Bellier et les chœurs de l'ensemble Vox Campus) gagne peu à peu en amplitude.